Marie Dentière
Naissance | |
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Décès | |
Nom de naissance |
Marie d'Ennetières |
Activités | |
Famille |
Famille d'Ennetières (d) |
Père |
Jérôme d'Ennetières (d) |
Fratrie |
François d'Ennetières (d) |
Conjoints |
Antoine Froment (à partir de ) Simon Robert |
Parentèle |
Gaspard d'Ennetières (neveu) |
Ordre religieux |
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Epistre tres utile, faicte ey composée par une femme chréstienne de Tornay, envoyée a la Royne de Navarre, seur de Roy de France, contre les Turcz, Iuifz, Infideles, faulx chrestiens, Anabaptistes et Lutheriens (d) |
Marie Dentière, ou d’Ennetières, née en 1495 à Tournai et morte en 1561 à Genève[1], est une théologienne et réformatrice protestante, contemporaine de Jean Calvin.
Elle est particulièrement connue pour son Epistre tres utile... publié en 1539. La conviction avec laquelle elle défend la Réforme et sa perspective féministe novatrice la font considérer comme l’une des premières théologiennes laïques féministes.
Jeunesse catholique
[modifier | modifier le code]Marie Dentière, fille de Jérôme d'Ennetières, échevin et grand prévôt de Tournai, et de Marie Villain de La Boucharderie[2], est née à Tournai - ville devenue française par annexion sous Philippe IV le Bel et qui le resta jusqu'en 1521 - dans une famille de petite noblesse et relativement aisée. Elle a deux frères plus âgés. En tant que fille aînée, on l’envoie au couvent augustinien de Prés-Porchin, et c’est probablement là qu’elle étudie et elle prononce ses vœux après la mort de sa mère en 1508[3],[4]. Dès les années 1520, les nouvelles idées religieuses atteignent Tournai : les écrits de Martin Luther influencent fortement Marie Dentière qui se convertit et fuit vers 1524 à Strasbourg où se trouvaient alors de nombreux réfugiés protestants[5].
Vie protestante
[modifier | modifier le code]- Vaud puis Genève
Marie Dentière épouse à Strasbourg en 1528 Simon Robert, ancien curé augustinien, membre du groupe de Meaux, et originaire de la même région de Tournai[5]. Ils se rendent dans le pays de Vaud à l'invitation de Guillaume Farel, d'abord à Bex, puis à Aigle où Simon Robert est pasteur. Ils ont au moins deux filles, nommées Marie et Jeanne, mais Simon décède déjà en 1533. Marie épouse en secondes noces le réformateur français Antoine Froment, compagnon de Guillaume Farel et bien plus jeune qu'elle, ils s'établissent à Genève en 1535 et auront au moins une fille, Judith[3].
Marie Dentière fait partie de la délégation qui se rend au couvent des Clarisses, à la suite de l’interdiction de la messe décidée le . Une des religieuses, Jeanne de Jussie, la décrira comme « une moinne abbesse, faulce, ridée et de lengue diabolique »[3].
En 1536, l’armée bernoise libère Genève de la pression exercée par la Savoie et occupe les territoires environnants. Un document longtemps resté anonyme décrit les trente années ayant précédé cette campagne, il est daté de 1536 et s’intitule : La guerre et deslivrance de la ville de Genève…[6]. Ce texte fut longtemps attribué à Froment[3], mais l’éditeur de 1881, Albert Rilliet, compare attentivement les styles de Froment et de sa femme et arrive à la conclusion que l’auteur est Marie Dentière. Cette hypothèse est soutenue en 2003 par Isabelle Graesslé, directrice du Musée de la Réforme[7]. Froment est nommé diacre à Thonon, dans le Chablais nouvellement occupé. Toute la famille y déménage.
Peu après, en 1538, Farel et Calvin sont renvoyés de Genève. C’est à cette époque qu’Antoine Froment se met à vendre divers produits, dont du vin, ce qui fut condamné par les pasteurs de Thonon.
- « Epistre tres utile… »
En , Marie Dentière fait imprimer à Genève (mais avec Anvers comme faux lieu d’édition) son Epistre tres utile... dédiée à sa protectrice, la reine Marguerite de Navarre[8],[9]. La majeure partie des 1 500 exemplaires du pamphlet sont saisis par les autorités genevoises, Froment est convoqué devant le Conseil et l’imprimeur Jean Girard (parfois orthographié Gérard) est jugé et emprisonné quelques jours[10]. Ce serait le premier texte victime de la censure réformée à Genève[11]. Le texte est « clairement une attaque contre les autorités genevoises du moment »[12], il « dénonce avec une violence extrême l’hypocrisie ambiante et la corruption du clergé genevois »[13]. Marie Dentière prône dans ce document une participation active des femmes en matière de religion, elle affirme que hommes et femmes sont égaux quant à leur capacité à comprendre les textes sacrés. Une petite grammaire hébraïque accompagne cet ouvrage, rédigée par la fille de Marie, Jeanne.
« […] affin que désormais [les femmes] ne soyent en elles-mesmes ainsi tormentées et affligées, ains plustost resjouyes, consolées et esmeues à suyvir la vérité, qui est l’Évangile de Jésus-Christ. »
— Marie Dentière, Espitre tres utile[14].
« Avons-nous deux Évangiles, l’un pour les hommes, et l’aultre pour les femmes ? L’un pour les sages, et l’aultre pour les folz ? Ne sommes-nous pas un en nostre Seigneur ? Au nom duquel sommes-nous baptisez, de Pol ou d’Apollo, du Pape ou de Luther. »
— Marie Dentière, Epistre tres utile[15].
- Chablais
À la suite de cet affront, Froment est muté à Massongy, une paroisse encore plus petite et plus éloignée de Genève[3], et Marie Dentière est sévèrement réprimandée. Guillaume Farel écrit à Calvin « notre Froment est le premier qui, à la suite de sa femme, ait dégénéré en ivraie. […] Cette femme orgueilleuse et vindicative fut, malgré tout son esprit, une mauvaise conseillère à son nouvel époux, qu’elle dominait absolument. »[16].
Les Froment donnent une bonne éducation chrétienne à leurs filles, dont des cours d’hébreu. Ils continuent à vendre divers produits. En 1546, de passage à Genève, Marie Dentière critique la robe longue de Calvin (de retour à Genève depuis ), associant celui-ci aux faux prophètes annoncés dans le Nouveau Testament[17]. Puis en 1548, c’est Antoine Froment qui critique le pouvoir bernois dans une série de sermons. Cette fois, il est exclu et perd son travail de pasteur.
- Genève
Fin 1549, la famille Froment vit à nouveau à Genève, Antoine travaille comme assistant de François Bonivard (nouvellement nommé historien officiel)[3], puis il est reçu comme notaire public et bourgeois en 1553[18]. Antoine est élu en 1559 au Conseil des Deux-Cents.
Marie Dentière meurt à Genève en 1561.
Œuvres
[modifier | modifier le code]- La guerre et deslivrance de la ville de Genesve fidèlement faicte et composée par ung marchant demourant en icelle, 1536, anonyme. Attribué en 1881 par Albert Rilliet à Marie Dentière, confirmé par Isabelle Graesslé en 2003[7],[19].
- Epistre tres utile, faicte ey composee par une femme chrestienne de Tornay, envoyee a la Royne de Navarre sœur du Roy de France, Contre les Turcz, Iuifz, Infideles, faulx chrestiens, Anabaptistes, et Lutheriens, [à Anvers, chez Martin l’empereur], Genève, Jean Gérard, 1539, signé « M. D. ». Attribué à Marie Dentière.
- « Au Lecteur chrestien », signé « M. D. », in Sermon de M. J. Cal[vin] où il est montré quelle doit estre la modestie des femmes en leurs habillements, 1561. Préface attribuée à Marie Dentière.
Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Jean-Claude Barbier, « Marie Dentière où comment Jean Calvin réprimandait les femmes qui voulaient prêcher … », sur Actualités Unitariennes, (consulté le )
- (de) Béatrice Acklin Zimmermann, « "Haben wir zwei Evangelien, eines für die Männer und eines für die Frauen ?" : Marie Dentière », dans Dem Schweigen entronnen, Würzburg ; Markt Zell, Religion und Kultur Verlag, , 304-323 p.
- Isabelle Graesslé, « Vie et légendes de Marie Dentière », Bulletin du Centre protestant d’études, vol. année 55, no 1, (lire en ligne)
- William Kemp et Diane Desrosiers-Bonin, « Marie d’Ennetières et la petite grammaire hébraïque de sa fille d’après la dédicace de l’Épistre à Marguerite de Navarre », Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, Genève, Librairie Droz, vol. LX, no 1, , p. 117-134
- C. Skenazi, « Marie Dentière et la prédication des femmes », Renaissance and Reformation, vol. 21, no 1, , p. 5-18 (ISSN 0034-429X, lire en ligne)
- Irena Backus, « Marie Dentière : un cas de féminisme théologique à l’époque de la Réforme ? », Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, vol. 137, , p. 177-195
Filmographie
[modifier | modifier le code]- Marie Dentière, film-documentaire réalisé par Virginia Crespeau et Isabelle Graesslé, 30 minutes, 2007, diffusion France 2
Hommages
[modifier | modifier le code]- Son nom est ajouté sur l'initiative d'Isabelle Graesslé, directrice du Musée de la Réforme, au Monument international de la Réformation (dit « Mur des réformateurs ») à Genève le , en même temps que ceux de trois précurseurs de la Réforme. L’inscription est discrète, sur le côté de la stèle dédié à Zwingli, mais c’est l’unique nom de femme figurant sur ce monument[20],[21].
- À l’occasion de l’« année Calvin » en 2009, les Femmes protestantes de Suisse (FPS) publient un feuillet intitulé Marie Dentière ou la Réforme au féminin, rédigé par Isabelle Graesslé[22],[23].
- Dans le cadre du 450e anniversaire de l’université de Genève en 2009, une série de 126 portraits artistiques grands formats sont placés sur les façades des bâtiments Uni Dufour, dont Marie Dentière « parmi les premières »[24],[25].
Littérature
[modifier | modifier le code]- Marie Dentière est un personnage de la pièce Le maître des minutes de Dominique Ziegler et Nicolas Buri. Pièce sur Calvin et son impact sur les Genevois, présentée en au Théâtre Saint-Gervais à Genève[26].
Références
[modifier | modifier le code]- Liliane Mottu-Weber, « Dentière, Marie » dans le Dictionnaire historique de la Suisse en ligne, version du . Selon d’autres sources, elle serait née « vers 1495 », ou encore en 1490.
- Félix-Victor Goethals, Miroir des Notabilités nobiliaires de Belgique, des Pays-Bas et du Nord de la France - Volume 1, Bruxelles, Polack-Duvivier, , 1023 p. (lire en ligne), p. 949
- (en) William Kemp et Diane Desrosiers-Bonin, « D’Ennetières, Marie (Dentières; 1495-1561) », in Encyclopedia of women in the Renaissance, ABC-CLIO, 2007, p. 113-115. En ligne Encyclopedia of women in the... - Google Livres.
- Kemp et Desrosiers-Bonin affirment que, contrairement à la description faite par sa contemporaine Jeanne de Jussie, Marie Dentière n’aurait pas été prieure (ou abbesse).
- « Marie Dentière, ou d’Ennetières (vers 1495-1561) », sur www.museeprotestant.org, Fondation pasteur Eugène Bersier - Musée virtuel du Protestantisme (consulté le )
- clclivaz, « Les mésaventures de l’Epitre Tres Utile, ou comment faire mémoire de Marie Dentière »(Archive.org • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?), sur Marie Dentière, (consulté le )
- Graesslé 2003, p. 10-11.
- Claudia Wirz, « Marie Dentière: une sœur en spiritualité incommode », Le Temps, (lire en ligne, consulté le )
- « Marie Dentière », (consulté le )
- Alfred Cartierr, Arrêts du conseil de Genève de 1541 à 1550, Genève, Georg & Cie, (lire en ligne)
- William Kemp, « D’Ennetières [Dentière], Marie (1495-1561) », in Dictionnaire de la Société Internationale pour l’Étude des Femmes de l’Ancien Régime (SIEFAR), 2003.
- Kemp et Desrosiers-Bonin (2007).
- Skenazi (1977), résumé.
- Extrait de l’envoi, cité par Skenazi (1977).
- Extrait, cité par Skenazi (1977).
- Lettre du 6 février 1540, citée par Jean-Claude Barbier, 2007. Correspondance des Réformateurs dans les pays de langue française, éd. A.-J. Herminjard ; Georg, Genève, 1878, vol. 5, no 785.
- Kemp et Desrosiers-Bonin (2007) citent Mary B. McKinley, « Les fortunes précaires de Marie Dentière au XVIe et au XIXe siècles », in Royaume de fémynie. Pouvoirs, contraintes, espaces de liberté des femmes, de la Renaissance à la Fronde, Paris, Champion, 1999.
- Irena Backus, « Froment, Antoine » dans le Dictionnaire historique de la Suisse en ligne, version du .
- Maryelle Budry, « La théologienne qui bravait Calvin », Signé Genève, (lire en ligne, consulté le ).
- Daniela Solfaroli et Vincent Schmid, « La Réforme vue de Suisse (4/5): Les femmes de la Réforme », rts.ch, (lire en ligne, consulté le )
- Raphaëlle Bouchet, « Le Musée de la Réforme pèche par omission », LeCourrier, (lire en ligne, consulté le )
- « Les femmes protestantes rendent hommage à Marie Dentière », 30 juillet 2009, sur Les quotidiennes.
- J. B., « Review of LA GUERRE ET DÉLIVRANCE DE LA VILLE DE GENESVE COMPOSÉE ET PUBLIÉE EN 1536, MARIE DENTIÈRE », Bulletin historique et littéraire (Société de l'Histoire du Protestantisme Français), vol. 31, no 2, , p. 91–93 (lire en ligne, consulté le )
- Faces à faces avec la Cité, communiqué du 3 juin 2009.
- Stéphanie Bron, « Des femmes qui font face aux hommes », sur Les quotidiennes - un regard de femmes sur l’actualité, 4 juin 2009.
- Le maître des minutes, sur le site de Dominique Ziegler.
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Articles connexes
[modifier | modifier le code]- Monument international de la Réformation
- Musée international de la Réforme
- Femmes dans la Réforme protestante
Liens externes
[modifier | modifier le code]- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :
- Isabelle Graesslé, « Marie Dentière », sur protestant.ch (consulté le )
- « Marie Dentière, ou d’Ennetières », sur Musée virtuel du protestantisme français (consulté le )